Japan Alps

Jʼai voulu suivre la ligne des crêtes des Alpes, de Ichiburi à Hirayu; de la côte nord à une station de ski à lʼouest de Nagano, 150km plus au sud. Partir du niveau de la mer et grimper en moins deux jours à plus de 2500m. Nous monterions jusquʼà plus de 3000m et jamais en dessous de 2000m. Il pourrait faire froid, surtout la nuit. Le reste était à découvrir. Huit étapes de 20km et 2000m de dénivelé en moyenne. Même avec des sacs de dix à seize kilos sur le dos, ce devait être jouable. Le seul doute concernait Hugo. Trois mois après quʼon lui ait posé une prothèse de la hanche et malgré ses séances intensives de kiné ou de crossfit, sa jambe gauche ne serait peut-être pas suffisamment musclée pour supporter de tels efforts.

Jour 1

La première étape était la plus courte et celle qui comptait le moins de dénivelé. Une quinzaine de kilomètres pour mille-cinq-cents mètres dʼascension. Jʼavais estimé à cinq heures le temps nécessaire pour rejoindre le refuge non gardé près duquel nous allions passer la nuit. La seule chose qui nous inquiétait, cʼétait la chaleur. Avec des températures supérieures à 30 degrés et un taux dʼhumidité de 98%, la température ressentie devait bien approcher les 50 degrés. On se rassurait en calculant quʼon perdrait 0,8 degrés tous les cent mètres; six degrés au bout de deux heures; douze en arrivant là haut. Ce qui est parfois compliqué quand on commence une randonnée, cʼest de trouver le départ du sentier quʼon a prévu dʼemprunter. Cette fois-ci ce devait être simple. Suivre la route côtière vers lʼouest pendant deux kilomètres depuis la gare, puis prendre le chemin qui partirait sur notre gauche, juste avant la rivière. On le voyait sur Google Maps, ce serait facile à trouver.

La ligne en pointillés, c’est notre chemin

Après être descendu du shinkansen, le TGV à tête dʼespadon, à Itoigawa, nous avons pris un petit train qui longeait la mer jusquʼà Ichiburi. Nous avons fait une courte halte dans un petit boui-boui pour avaler un bol de riz et nous avons attaqué notre itinéraire. Nous avons suivi comme prévu la route qui longeait la rive droite de la rivière. Après trois kilomètres la route sʼarrêtait. Un large chemin de terre et de cailloux grimpait vers notre gauche. Ça ne ressemblait pas à ce que je lisais sur la carte. Je suis parti en reconnaissance; jʼai grimpé pendant deux-cents mètres et je suis tombé sur une ancienne carrière; un cul de sac. Nous avons alors décidé de suivre une vague trace à travers de hautes herbes tropicales. Au bout dʼune centaine de mètres à se faire déchirer par les ronces nous avons rejoint la rivière. Nous sommes descendus dans son lit et avons continué à avancer les pieds dans lʼeau jusquʼau point où le sentier devait grimper dans la montagne. On ne trouvait aucun sentier autour de lʼendroit où on aurait dû le prendre. Après avoir exploré « la jungle tropicale » sur une bande de deux-cents mètres, nous avons décidé de suivre la trace GPS jusquʼà ce que lʼon tombe sur le sentier. Cʼétait infernal. Une chaleur insupportable, des plantes immenses, des insectes tous plus gros et effrayants les uns que les autres et un singe sauvage qui a fui vers la rivière. La pente devenait de plus en plus forte et nous nous sommes retrouvés coincés dans un ravin à plus de 40% avec nos lourds sacs de randonnée. Avant quʼune catastrophe nʼarrive nous sommes redescendus jusquʼà la rivière. Nous avons profité longuement de ce jacuzzi naturelle pour nous rafraîchir et boire des litres dʼeau fraîche. La nuit tombait. On a décidé de chercher un coin où planter nos tentes pour passer la nuit. En remontant la rivière pendant deux petits kilomètres, nous sommes tombés sur un joli petit barrage. Il y avait une grande terrasse herbeuse sur la rive dʼen face.

Nous avons fait notre popote à la lueur de nos frontales. Les moustiques ont fait la leur sur nos bras et nos mollets. La première journée de randonnée ne sʼachevait pas exactement comme je lʼavais imaginée…

Jour 2

Nous nous sommes réveillés au bord de notre rivière et, après un petit- déjeuner sommaire, thé et barres de céréales, nous avons décidé de chercher le chemin plus à lʼest, en suivant la route qui passait au dessus de la rivière un peu plus bas. Jʼavais recherché pendant la nuit sur internet quelques expériences sur ce sentier et je suis tombé sur celle dʼun gars sui avait vécu un enfer similaire. Il avait retrouvé le sentier à une dizaine de kilomètres de là où nous le cherchions. https:// www.randonner-leger.org/forum/viewtopic.php?id=33580 Il nʼétait pas encore huit heures et nous avons pris la route et marché pendant deux heures sous le cagnard. Alors que nous nous rafraîchissions en buvant lʼeau qui alimentait une rizière, Anne sʼest jetée sur un gars du coin qui passait avec son pickup. Comme dʼhabitude, il parlait moins bien lʼanglais que nous le japonais mais nous avons réussi à lui faire comprendre ce que nous cherchions. Il mʼaurait paru évident que dans un coin où il nʼy a rien à part une scierie et quelques rizières, où un occidental ne passe que tous les deux ou trois ans, que cinq personnes avec des sacs à dos sʼétaient probablement perdues et cherchaient le chemin de randonnée… jʼai lʼimpression que les japonais sont un peu comme ça; très indifférents à ce qui arrive aux autres et peu emprunts de solidarité « naturelle ». Il faut vraiment aller vers eux et demander explicitement de lʼaide pour quʼils réagissent. Bref le gars propose finalement de nous embarquer dans son pickup et de nous conduire jusquʼau point de départ officiel de la randonnée. Il nous épargne ainsi encore six kilomètres de routes et les cinq-cents premiers mètres dʼascension.

Il ne veut pas que nous partions en montagne sans « cloche à ours ». Une clochette qui est censée éloigner les ours. Je nʼétais pas très inquiet; les ours nous auraient entendus sans cloche. Mais nous acceptons la sienne que Hugo a accroché sur son sac. A défaut de protection contre les ours, jʼai pu repérer Hugo dans la montagne pendant toute notre randonnée. Un panneau indiquait clairement que nous étions sur le bon chemin et que notre randonnée estivale allait vraiment, à 10h00 le deuxième jour, pouvoir commencer. En préparant notre route, jʼavais trouvé sur la carte, la trace un peu rectiligne pour un sentier supposé monter autant. Dʼhabitude quand ça grimpe on fait des zigzags. Là le sentier attaquait droit dans la pente. Des cordes avaient été installées pour pouvoir se hisser; avec la chaleur

Des cordes avaient été installées pour pouvoir se hisser; avec la chaleur tropicale, cʼétait de nouveau lʼenfer. Nous suions des litres dʼeau; en plus de la pente, il nous fallait à chaque pas enjamber de grosses racines où nous hisser sur de grosses pierres mouillées. Chaque mètre que nous faisions nécessitait un effort considérable; bien au dessus de ce que jʼavais imaginé. Lʼenfer.

A défaut de croiser le moindre torrent dans les trois premières heures de notre ascension, jʼavais noté que nous croiserions un refuge non gardé à mi-chemin; Jʼespérais que lʼon y trouverait une source à proximité. Nous avons bien trouvé le refuge là où il devait être. Il était 14h00; un couple et leur enfant était déjà installé pour y passer la nuit. En revanche une vieille cuve de récupération de pluie dans lequel on distinguait davantage de grenouilles et dʼalgues que dʼeau pour nous hydrater. Il y a sur la carte de la famille du refuge, un torrent qui semble couler à deux heures de là. Ce sera notre motivation pour ne pas nous éterniser. On finit par trouver la source que nous cherchions. Nous buvons et nous aspergeons copieusement dʼeau pour retrouver la force de lʼarcher pendant les deux dernières heures de cette étape. En fin dʼaprès-midi, vers 19h00, nous atteignons enfin la cabane à côté de laquelle nous voulions planter nos tentes. Le camping sauvage et le bivouac étant interdits au Japon on nʼa pas dʼautres choix que dʼavancer de refuge en refuge. Nous sommes épuisés. La nuit tombe et nous nʼavons pas le courage de planter les tentes à la frontale. La cabane est bondée; une quarantaine de randonneurs sont déjà en train de dormir. On parvient malgré tout à trouver cinq places. On installe notre réchaud sur la table du refuge et nous terminons silencieusement les deux paquets de nouille quʼil nous restait. Nous réussissons lʼexploit de ne réveiller personne. À 20h00 nous sommes nous aussi allongés sur nos Futons. On espère que lʼétape suivante nous permettra de découvrir des paysages plus variés que cette jungle étouffante et que lʼaltitude rafraîchira davantage lʼair autour de nous. À plus de 1800m, on trouve toujours autant de végétation et une température encore difficilement supportable; même la nuit…

Jour 3

Quand nous nous levons, un peu avant six heures, tous les autres habitants ont quitté le refuge depuis au moins une heure. Cʼest le rythme ici. On dort à 19 heures, on se lève à 4 heures et à 5 heures, on commence à marcher. Ce nʼest pas encore tout à fait notre rythme. Petit déjeuner frugal; thé et barres de céréales. Lʼeau de la citerne de récupération de pluie semble un peu plus « propre » que celle de la cabane précédente mais on y ajoute des billes de micro-pur, au cas où. Départ à huit heures; le soleil commence déjà à taper sérieusement. A peine après avoir quitté le refuge, le paysage change complètement. On quitte enfin la jungle et on se retrouve sur une crête sublime. On retrouve enfin la magie de la montagne.

Physiquement ce nʼest pas si simple. La chaleur dʼabord et puis un sentier toujours aussi technique. Ça monte et ça descend constamment. Même si le profil semble globalement plat, on enchaine des petites bosses. Et puis des grosses pierres et des racines. Chaque pas nécessite un effort musculaire décuplé par le poids du sac. On croise nombre de petites marres et de ruisseaux rafraîchissants. Des jolies herbes bien vertes aussi. On a dépassé les 2000m mais ça ne ressemble pas tout à fait à un alpage.

On marche aussi parfois sur des sentiers de bois. Des kilomètres de poutres taillées et qui transforme le sentier de randonnée en chemin de promenade dans un parc floral.

En fin dʼaprès-midi, on finit par grimper sur un terrain que lʼon connait bien. Des cailloux qui nous font penser au Mercantour. Theophile et Hugo peuvent enfin « attaquer » les ascensions à bonne allure. Alice nous surprend. Cʼest sa première véritable randonnée en montagne mais son endurance et ses séances de crossfit lui permettent dʼavancer aussi vite que ses frères. Depuis ce matin nous voyons loin au dessus de nous, de grandes tâches blanches sur les montagnes. Nous marchons enfin sur nos premiers névés. Je comprends mal comment avec une telle chaleur ils nʼaient pas déjà fondu. Un peu après midi, de gros nuages noirs apparaissent et on entend lʼorage gronder au dessus de nous. Une pluie fine nous rafraîchit pendant une petite heure. Ce sera notre lot quotidien. Une chaleur torride en matinée;?orage le midi et après midi plus douce. Ça explique pourquoi les névés résistent aussi bien. Sur certains versants, la chaleur ne dure quʼune poignée dʼheures par jour. Premier sommet japonais à 2267m, Nagatogayamadake; puis un second, plus mythique, Asahidake (comme la bière Asahi) à 2417m. Là haut, un gars qui porte un joli maillot dʼun certain Hakuba Trail Run nous indique le refuge à quarante minutes plus bas. Il propose de nous accompagner. Je laisse Anne et les enfants descendre avec lui. Je reste quelques minutes pour profiter de ce point de vue encerclé de brume.

Je les rejoins moins dʼune demi-heure plus tard. Un joli bâtiment en bois au pied duquel sʼétalent deux dizaines de petites tentes de bivouac colorées. Nous trouvons un espace pour y planter les trois nôtres. Pendant que je tape comme un sourd avec une pierre sur mes tous nouveaux piquets ultra-légers en titane, un japonais vient mʼinterroger sur nos tapis de sol (Himalaya -40). Il sʼappelle Satoru et vient dʼHokkaido. Je le reverrai tous les soirs pendant notre randonnée… Il nʼest pas possible de dîner dans le refuge si nous nʼy dormons pas. En revanche ils vendent de la soupe, du riz et des bières. Tout le nécessaire pour se refaire une santé. Nous pouvons aussi sortir nos maillots à manches longues, polaires et autres doudounes. Dès 17h00, il fait vraiment froid à cette altitude. On sʼendort paisiblement un peu après la tombée de la nuit. À 20h30, il est vraiment tard; tout le camp est déjà endormi et seuls des français peuvent veiller aussi tard.

Jour 4

Comme la veille, lorsque nous émergeons de nos duvets vers 6h30, toutes les tentes au milieu desquelles nous nous étions endormis, ont disparu. Nous installons notre réchaud sur une des grandes tables en bois du refuge pour un long petit déjeuner à la cool. Le temps de replier les tentes, les duvets et les tapis de sol, de refaire nos sacs; nous ne parvenons pas à décoller avant huit heures. Jʼai abandonné toute idée de suivre le programme initial. Hier, il nous a fallu près de neuf heures pour parcourir moins de quinze kilomètres et 1800m de dénivelé. Les 20km/2000d+ sont inaccessibles dans ces conditions. Nous irons où nous pourrons sans nous fixer dʼobjectifs difficiles à suivre. Prochaine étape. Hakuba Hut; un refuge situé au pied du mont Shirouma (Shiroumadake) qui culmine à 2931m. On le distingue au loin depuis le refuge Asahi. Cʼest assez impressionnant. Les sommets ici sont beaucoup moins hauts que ceux des Alpes du nord mais, alors quʼen Europe, quand on randonne, lʼobjectif est de franchir un col, ici cʼest dʼarriver au sommet. On navigue donc quasiment tout le temps entre 2200 et 3000 mètres alors que sur un tour du mont-blanc; on marche rarement à plus de 2000m. Grâce à la cloche dʼHugo et des bavardages de Alice et Théophile, nous avons réussi à éviter de nous retrouver face à une famille dʼours. Jʼai en revanche failli marcher le deuxième jour sur un serpent qui nʼavait pas lʼair tout à fait sympa. Aujourdʼhui ce sont ses singes que nous entendons et voyons dans les arbres qui bordent notre chemin. Anne en verra dʼautres, accrochés sur une falaise, en arrivant au refuge Hakuba. Pas de bouquetins ni de chamois par ici; pas de marmottes non plus. Des singes donc et des ours que nous ne verrons pas.
Cette étape est moins longue et moins trapue que la précédente. Nous redescendons dʼabord à 2000m puis enchaînons trois sommets successivement à 2610, 2547 et 2931.

De longues ascensions continues comme on les aiment et sur lesquelles les garçons font la course. Je ne parviens pas à battre Theophile; Hugo non plus dʼailleurs. Nous déjeunons dans une cabane non gardée pendant lʼincontournable heure de pluie. Au menu, nouilles et riz. Barre de céréales et café en dessert.

Nous repartons à lʼassaut de quelques névés quʼil faut traverser prudemment car certains sont immenses, très pentus et peuvent vous entraîner dans des chutes de plusieurs centaines de mètres. Nous atteignons le refuge Hakuba en fin dʼaprès-midi. Cʼest un refuge usine; six cents places. Il nʼy a pas de possibilité de camper à proximité. Il eut fallu rejoindre un autre refuge, un peu plus bas à une heure supplémentaire de marche. Anne et Alice sont fatiguées. Il nʼest pas non plus possible de dîner sans hébergement. Après un bref débat, nous choisissons lʼoption demi-pension en refuge. Comme à lʼarrêt précédent, il faut indiquer de quel refuge on vient et dans lequel nous irons le lendemain. Un moyen de sʼassurer que des randonneurs nʼont pas disparu en montagne. On croise dʼailleurs un binôme de la « Nagano Mountain Patrol » sur chaque refuge. Des gars très sympas dont la plupart ne connaissent de la France que Chamonix et y on déjà fait un ou plusieurs séjours.
Le dîner ne me convainc pas franchement: Riz, soupe Mizo, un mini steak haché, un radis, un cornichon et du thé à volonté. Lʼidée dʼavoir quand même fait le plein de protéines plaît à Hugo; mais ce qui nous a vraiment convaincu, cʼest la séquence bière / apéro qui a précédé le repas.

Jour 5

Cette fois-ci, on nʼa pas eu le choix. Avec lʼoption breakfast sʼimposait le réveil à 5h00. Une grosse victoire sur le temps et la chronologie. A la vue du petit déjeuner, on regrette de ne pas avoir dormi une heure de plus. Soupe Mizo, riz, prune amère, une bouchée dʼomelette, une autre de poisson et toujours du thé à volonté. Le riz et la soupe aussi dʼailleurs. Pour le bol de granola-yaourt, il me faudra attendre quelques jours.
A 7h00, donc, nous étions dʼattaque. Un programme encore moins long que le précédent mais qui est annoncé comme beaucoup plus engagé. On commence par une petite descente de 100m qui nous amène à 2600m, puis une remontée jusquʼà 2900m sur laquelle les garçons se font un malin plaisir à doubler tous ceux qui les précèdent. Il y en a un paquet. Avec son gros sac et ses quinze ans, Théophile avale deux trailers en mode ultra-light. Les gars sont énervés et essaient de sʼaccrocher à lui. Ils le reprennent dans la descente mais se font de nouveau dépasser dans la côte qui suit. Ils finissent par quitter notre « route » pour redescendre vers la vallée.

Deux minutes de pause à Tengu Senso, un refuge en reconstruction où nous goûtons à un beignet à la confiture de haricot rouge. Depuis on en voit partout… On enchaîne sur la seconde partie du parcours en direction de, karamatsudake, extincteur-flèches-bateau-à-voile. Comme nous avons quelques difficultés à lire les idéogrammes, on reconnaît les noms en associant chaque caractère à lʼobjet auquel il nous fait penser.

Extincteur , flèches, bateau à voile

La suite donc, fut épique.
Ça commence par une grosse chaine fixée sur les rochers pour descendre un petit mur à 55°. Celui-ci nʼest pas trop inquiétant; ce nʼest pas très long et lʼexposition au vide nʼest pas terrible. Ce nʼest pas la première fois quʼon croise ce genre dʼéquipement pour franchir un passage délicat. Sʼaider des mains pour escalader des rochers aussi. Les suivants sont plus gazeux. On se retrouve avec parfois plusieurs centaines de mètres de vide sous nos pieds et une verticalité importante 60°/70°. On trouve des trous ou des fissures pour y glisser nos mains et nos pieds; Du 5c ou du 6a; de lʼescalade facile, mais sans sécurité et avec nos lourds sacs sur le dos, le risque nʼest pas le même. Il nʼy a dʼailleurs pas toujours de chaînes. Il suffit de rester concentré et de ne pas tomber. On nʼa pas photographié ces passages là. Dʼabord parce que ce serait suicidaire de sortir son smartphone quand on ne tient plus que sur une main et un bout de pied coincé dans un trou de rocher; ensuite parce quʼon nʼa pas non plus envie de photographier les autres dans ces situations là.

On passe plus de quatre heures dans ce passage. Et quand on se retrouve sur un sentier plus plat, il nʼest large que de quelques dizaines de centimètres, bordé par un ravin, parfois deux. Nous arrivons à Karamatsudake un peu fatigué et le bivouac sur des plateformes étroites face au vide nʼinspire pas beaucoup Anne qui nʼa pas beaucoup apprécié cette étape; elle était terrorisée. Pas pour elle mais pour ce qui aurait pu arriver aux enfants. Moi aussi. Hugo en revanche, était ravi. Cʼétait pour lui le meilleur moment de cette randonnée. De la via ferrata sans baudrier. Trois mois après sʼêtre fait poser une prothèse de la hanche, être capable dʼenchaîner de grosses ascensions et des heures dʼescalade en mode « free solo », cʼest un exploit.

Nous étions arrivés sains et saufs et nous allions encore une fois dormir en refuge. Le menu de la demi-pension était le même que la veille. Hier nous avions profiter dʼune grande chambre façon dojo pour nous cinq. Cette fois-ci, il faudrait nous contenter dʼune cellule de six futons dans un dortoir de 240 places. Heureusement chaque cellule est cloisonnée par un petit rideau et on nʼa pas la sensation de dormir au milieu de tant de monde. Pas dʼoption « lunch-box » pour le lendemain. Le déjeuner à emporter que nous avions consommé aujourdʼhui, en équilibre entre deux rochers, nʼavait pas satisfait les appétits de Hugo et de Theophile. Celui dʼAlice et le mien non plus dʼailleurs. Pendant le dîner il a bien fallu débattre de la suite du parcours. Jʼen avais discuté avec le « Nagano Mountain Patrol » en poste au refuge. Compte tenu de mes connaissances du japonais et des siennes de lʼanglais. Lʼéchange et lʼexpression des nuances furent plutôt compliqués.

Quatre chemins partaient de Karamatsudake. Le premier, cʼest celui que nous venions dʼemprunter et qui nous ramenait à Hakuba Sanzan; le second se dirigeait vers lʼouest, faisait une boucle de trois jours pour retourner sur Hakuba Sanzan, était très peu emprunté et comportait sans doute des passages où le balisage avait disparu… et commençait par une petite heure un peu gazeuse. Le troisième chemin était celui que jʼavais prévu de suivre; vers le sud sur la route de la traversée des alpes japonaises. Il fallait encore escalader des rochers et affronter le vide pendant deux petites heures. La dernière option était de partir vers lʼest et dʼarrêter la randonnée. Ce chemin conduisait à Hakuba station et ne présentait pas de danger particulier. Anne était formelle et ne voulait pas que nous prenions dʼautres risques ni revivre une pareille journée. Nous nous sommes endormis avec lʼidée que nous rejoindrions la vallée le lendemain.

Jour 6

Je me suis réveillé avant les autres pour aller discuter avec le guide. Je voulais bien arrêter la rando, puisque les quatre étapes suivantes promettaient dʼêtre aussi dangereuses que celle entre Habuka Sanzan et Karamatsudake, mais pas aussi vite; pas aussi tôt. Gaku Sakamoto, le guide, a réussi à convaincre Anne que lʼétape suivante, bien que dangereuse par moment, serait moins difficile que celle de la veille. De mon côté je proposais que lʼon redescende après le prochain refuge. Nous nʼirions pas jusquʼà la fin du parcours mais nous aurons marché pendant sept jours sur des crêtes sublimes. Les enfants, eux, étaient moins traumatisés par le danger que par les brulures du soleil. On avait un peu sous estimé lʼimpact du soleil. Plus jamais nous ne nous moquerons des asiatiques qui randonnent dans les Alpes, couverts de la tête aux pieds en plein cagnard. Nous avons essayé de cacher notre peau sous tous les morceaux de tissus qui nous tombaient sous la main.

Moi cʼest mon chapeau que je ne quitte pas. Mes lunettes Oakley de soleil à ma vue ont disparu dans mes bagages pendant le vol entre Moscou et Tokyo et, sans lentilles, acheter une nouvelle paire ne mʼaurait pas servi à grand chose. Cette étape fut courte; quatre heures de marche. Nous nous étions préparés au passage un peu alpin et, à midi, nous avions atteint le refuge de Goryu. La tente était plantée en tout début dʼaprès-midi. Nous avons bien fait car nous étions samedi et ils sont des dizaines à être montés sʼinstaller pour passer cette nuit en montagne. À 16h00, le campground était plein. Les enfants ont joué aux cartes pendant tout lʼaprès-midi. De mon côté jʼai entrepris de monter au sommet du mont Goryu (Goryudake) tout en promettant de ne pas mʼengager dans des passages dangereux. Jʼai donc dû arrêter mon ascension deux cents mètres au dessus du camp, quand il fallait sʼengager dans une traverse ai dessus du vide. Sans sac, cette séquence ne me posait aucun problème, mais une promesse est une promesse et je suis redescendu. En fin de journée, les autres « campeurs » faisaient comme nous. Bière, apéritif et popote en attendant le couché du soleil. Je suis remonté un peu au dessus du camp pour prendre une photo après que la nuit fut tombée. Ce serait notre dernière nuit en montagne.

Jour 7

Nous nous sommes réveillés autour de six heures pour notre dernière journée dans les Alpes japonaises. Un long petit déjeuner avec nos popotes sur les tables en bois du refuge. Je regardais le soleil sur le mont Goryu. Jʼaurais bien continué à marcher dans ces jolies montagnes.

Le début de la descente comportait encore des séquences un peu vertigineuses. Des crêtes entourées de vide et quelques passages avec chaînes et échelles. On commence à être habitués à ces exercices.

Cʼest finalement la chaleur moite qui aura été le plus désagréable pendant les quatre heures de descente. À 2600m, on avait oublié cette jungle tropicale dans laquelle il fallait marcher mille mettre plus bas.

Le parcours sʼachève par une promenade à travers le parc floral de Hakuba. On atteint, à 1570m, le sommet du télécabine de la station de ski.

Cʼest là que nous posons nos sacs et que la randonnée sʼachève. Jʼai toujours un moment de cafard dans ces moments là. Des crêtes magnifiques et des sommets facilement accessibles qui offrent à chaque fois un panorama sublime…

Note de Alice

Jʼai voulu faire un remake du petit poucet et perdre/tuer mes enfants mais mon plan a échoué. Au moins ils sont dégoûtés et ne repartiront pas lʼannée prochaine. mouhahahah.

Note de Theophile

Mon plan a échoué car mes enfants sont trop forts, je vais réessayer lʼannée prochaine!